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LE MASSACRE DE LA RUE D'ISLY
Par
Jean-Claude KESSLER

Témoignage recueilli par Hervé CUESTA dans le dernier numéro d'Aux Echos d'Alger

Je veux raconter:

Les années de guerre passaient avec son cortège de meurtres et d’assassinats pour atteindre son paroxysme cette terrible journée du 26 mars 1962 où la bête immonde avait programmé l’extermination des Français d’Algérie par un bain de sang.

Vers 9h30 ce jour là ma section avait été mise en alerte et des 11 h 30 je me mettais en place à l’entrée de la rue d’Isly, légèrement à gauche face à la grande poste, je devais interdire l’accès à des escaliers permettant d’accéder au Gouvernement Général par des manifestants.

Nous avons disposé en travers des chevaux de frise (parallélépipédiques de barres métalliques entourés de fils barbelés) et puis nous avons commencé à attendre le début de la manifestions.

Petit à petit les gens sont arrivés, c’était pour la plus grande majorité des femmes, des enfants et des personnes d’âge mûr car il ne fallait pas provoquer les troupes qui se mettaient en place.

La place était encore très clairsemée quand mes hommes et moi avons vu arriver une compagnie du 4eme Rg. de tirailleurs qui arrivait du bled, bardée de mitrailleuses (AA52) un affreux pressentiment m’a envahi car face à une foule désarmée on ne mettait pas des tirailleurs, sauf comme je pouvais l’imaginer si on avait prévu ce massacre.

Une de leur section a formé un barrage à l’entrée de la rue d’Isly et mettant en batterie une mitrailleuse devant l’agence Cook : ce qui m’a également surpris, c’est que certains avaient mis leur baïonnette au fusil et mon inquiétude s’était encore accrue.

Vers 13 h 00 la place était noire de monde, il y régnait une ambiance de kermesse et chacun transportait soit du lait soit de l’eau minérale pour le donner aux habitants de Bab-El-Oued qui étaient sans ressources et affamés par les troupes gouvernementales qui depuis trois jours bouclaient ce quartier, déjà on signalait la mort de nourrissons car ils ne disposaient plus ni de lait ni d’eau, derrière mes chevaux de frise un groupe de jeunes filles plaisantaient avec les soldats de ma section.

Vers 13 h 30 environ deux coups de pistolet se sont fait entendre, mais assez lointain, un peu comme un signal, aussitôt un déluge de feu et de fer s’est abattu sur la foule, tous les soldats du 4eme RTA tiraient comme des fous furieux, la mitrailleuse lâchait de longue rafales qui faisait de terribles ravages, durant quelques secondes nous sommes restés comme figés puis quelqu’un a crié « les chevaux de frise » en effet, la place de la Grande poste avait été complètement bouclée et la foule, prise sous le feu du 4eme RTA, cherchant une sortie, se pressait contre notre barrage et le premier rang se trouvait littéralement écrasé contre les barbelés, nous avons essayé de retirer les chevaux de frise pour leur laisser le passage, mais hélas dans notre précipitation les blocs de barbelés se sont verrouillés et il nous a été impossible de les déplacer et là, nous avons été les spectateurs impuissants du massacre.

Les jeunes filles qui un instant plutôt plaisantaient avec mes hommes hurlaient de terreur et nous tendaient les mains par dessus les barbelés, on a essayé de les tirer par dessus mais leur chair se déchirait au contact de ces maudits barbelés pendant que les balles mutilaient ces pauvres corps. J’avais saisi une main de l’une d’entre elles pour la tirer par-dessus mais rien ne venait. Je criais de rage et pleurais en même temps, et dans mes oreilles toujours ce bruit des armes qui aboyaient, allaient-elles un jour s’arrêter ? J’ai lâché cette petite main car à présent elle n’était que le prolongement d’un corps sans vie.

Tout à coup le feu des armes s’est arrêté et un grand silence s’est abattu sur ce champ de mort seulement troublé par le gémissement des blessés et moi j’étais là, immobile, dans un autre monde, à contempler cette place jonchée de cadavres. La plupart de mes hommes étaient accroupis ou à genoux, se tenant la tête à plaine main, beaucoup marmonnant je ne sais quoi, je n’entendais plus rien je voulais voir, pour pouvoir un jour raconter cette forfaiture, crier au monde entier comment une troupe peut anéantir un peuple.

J’ai passé les barbelés et me suis avancé sur la place, c’était irréel, des corps partout, certains méconnaissables, plus loin des familles entières étaient au sol avec pardessus le père, les bras écartés dans un geste dérisoire de protection. Partout des pièces de vêtement, des chaussures, des sacs à main, des bouteilles de lait dont le contenu s’était répandu sur le sol se mêlant au sang des innocentes victimes, quelle ironie !


Ce lait qui devait apporter la vie aux enfants de Bab-El-Oued avait donné la mort à ceux qui le portaient. Mes pas m’avaient conduit devant le magasin Prénatal. A l’intérieur des corps, les clientes sans doute venues faire des achats en vu de la prochaine naissance. Quatre d’entre elles avaient été massacrées à coup de baïonnette. Quelle horreur !

Je voulais crier mon dégoût à ce pays qui avait permis un tel carnage. Oui aujourd’hui la France venait de se déshonorer à jamais, elle perdait le droit de s’appeler « civilisée . Elle venait de rejoindre les pays totalitaires qui avaient agit de même en d’autres temps et d’autre lieux.

Oh combien je regrette en cet instant, tout ce sang qu’on a versé pour elle.

Si un jour quelqu’un me demandait si l’armée de la république avait en Algérie commis des actes contre l’honneur, alors je lui demanderais à mon tour à combien d’enfants il avait retiré le pieu qui l’empalait…

Jean-Claude KESSLER

34430, St.Jean-de-Védas



 
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