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Partie I

"TOP SECRET" : c'est un livre de Francine Dessaigne,
Achevé d'imprimer en juin 1999
sur rotative Variquik par l’imprimerie

SAGIM à Courtry (77)
pour le compte des EDITIONS CONFRERIE-CASTILLE
B.P. 43
94202 IVRY-SUR-SEINE Tel. : 01 48 43 56 98 - Fax : 01 64 29 35/19

 

Porté à notre connaissance par JP. BARTOLINI, que nous remercions tout particulierement pour son aide.

Affaire général Ailleret - AUX ORDRES ET COMPLICE DE DE GAULLE.



26 mars 1962, fusillade place de la Poste et rue d'lsly ÀLGER (64 morts recensés, et plus de 200 blessés, dont certains mutilés à vie).






---==oOo==---

ALGER, 26 MARS 1962

Certaines dates résonnent, dans la mémoire, d'un étrange écho.

Le 26 mars 1944, reçu à l'Hôtel-de-Ville d'Alger, évoquant les difficultés nées de la guerre, pour les Algérois, le général De Gaulle s'exclamait avec émotion :

« Mats au travers de ces épreuves, la ville d'Alger à conscience qu'elle porte I'honneur et la responsabilité d'être la capitale de la France guerrière dans la période décisive du conflit... Cette insigne dignité est désormais inscrite dans les annales. Et, comme tout se tient et s'enchaîne, elle est un principe du grand avenir d'Alger.

Quel avenir ? Eh ! Certes oui! Car dans la France nouvelle qui va paraître au terme du drame, quel rôle magnifique attend votre ville ! Cité Française la plus grande de cette Méditerranée, capitale d'une Algérie incorporée à la patrie par ses hommes comme par ses terres, vaste passage commun ou I'Europe et I 'Algérie pourront échanger à nouveau les navires, les avions et les pensées, Alger se sent, n 'est-il pas vrai ? appelée par le destin a jouer un rôle éminent dans ce monde Français élargi, rajeuni, que nous saurons édifier...»

Dix-huit ans plus tard, le 26 mars 1962, place de la Poste et rue d'lsly, des soldats portant l'uniforme français, tiraient pendant douze minutes, sur la foule des Algérois rassemblés dans l'espoir de faire entendre leur angoisse et leur désespoir, face à l'avenir que le général De Gaulle, Président de la République, leur préparait. après avoir trahi leur espérance entretenue par les mots dont il savait si bien se servir. Mais aussi en marche vers Bab-el-Oued pour dire leur solidarité avec le grand quartier populaire soumis à un blocus inhumain (bel exemple de responsabilité col­lective. ..) ou des avions en piqué avaient mitraillé les terrasses deux jours plus tôt.

Apres les avions, les navires ont été requis eux aussi. C'étaient deux escorteurs de l'Escadre de Méditerranée qui participaient alors à des exercices (une photogra­phie prise, ce jour là, par un Algérois nous les montre). L'un d’eux était le Surcouf, escorteur d'escadre D621, bâtiment amiral, placé face à Bab-el-Oued. II a tourné ses canons vers le large, c'est à l'honneur de la Marine et mérite d'être connu.

Mais, avant de l'évoquer, une sèche énumération, fondée sur des dates et des documents, s’impose pour rafraîchir la mémoire :

Le 16 septembre 1959, le général De Gaulle lance le mot "autodétermination". Le GPRA accepte et désigne Ben Bella pour négocier.

Du 3 au 5 mai 1959, au cours d'une "tournée des popotes" apparaît 'l’Algérie Algérienne".

Le 14 juin 1960, le Général De Gaulle lance un "appel au cessez-le-feu". Le 20, après atermoiements, le GPRA accepte un nouveau contact en vue de négocier.

- Le 4 novembre 1960, le Général évoque "la République algérienne".

-Les 19 et 20 février 1961, entretiens secrets Pompidou, B. de Leusse avec Boumendjel et Boulharouf.

- Les 5 et 23 mars 1961, contacts secrets en Suisse, Boulharouf, B. de Leusse.

- Le 30 mars 1961, annonce bi-latérale de l'ouverture des négociations pour le 7 avril.

-Le 31 mars 1961, désireux de faire monter les enchères et moins pressé de conclure que le Général De Gaulle, le GPRA ajourne les négociations.

- Le 11 avril 1961, le Général lance «Algérie, Etat souverain».

-Du 20 mai au 13 juin 1961, première conférence officielle France-GPRA à Evian.

-Le 11 juillet 1961, le Général De Gaulle affirme «!'Algérie, Etat indépendant».

- Du 20 au 28 juillet, ouverture de pourparlers France-FLN à Melun.

- Le 31 août 1961, au Conseil des Ministres qu'il préside, le Général De Gaulle exprime fermement sa "volonté de dégagement".

Depuis 1959, qu'elles soient secrètes ou non, les tentatives de négociations viennent toujours du gouvernement français, assorties de concessions verbales ou dans les textes, d'un rythme et d'une intensité sans cesse croissants.

D'autre part, surgissent, en juin 1960, le Front pour l'Algerie française (FAF) et l'OAS, en février 1962. Le FAF, patronné par cinq députés musulmans, élus à l'Assemblée nationale dans l'euphorie illusoire de mai 1958, et le Bachagha Boualem, son Vice-président. Véritable et éloquente lame de fond, un mois plus tard, il compte un million d'adhérents, et rassemble "tous ceux, musulmans et européens qui ont décidé de lier leur sort à celui de l'Algérie Française"(2).

Le Général De Gaulle, considérant comme seul "interlocuteur valable" le FLN, refuse de les associer aux décisions qui les touchent directement et méprise leurs angoisses. Ils ne sont pour lui que troublions gênant ses desseins et la bonne marche des négociations. Et voila qu'en février 1962 apparaît l'OAS dont la détermination violente cristallise leur ultime espoir de se faire entendre dans l'indifférence, quand ce n'est pas l'hostilité savamment entretenue de la Métropole.

Pour le Gouvernement, il est donc urgent d'aboutir, ses réactions vont

s'enchaîner rapidement.

-D'octobre 1961 à janvier 1962, contacts secrets avec le FLN.

-20 décembre 1961, réunion du Comité des Affaires algériennes. Le résumé des "décisions prises en vue du maintien de l'ordre public" est signé par le Général De Gaulle. Ces décisions sont immédiatement transmises par Michel Debré, Premier Ministre, au Commandant Supérieur des Forces en Algérie (GENESUPER) qui est, depuis le 13 juin 1961, le Général Ailleret.

-Le 24 décembre 1961, sans attendre, le Général Ailleret adresse un "message urgent" au CA d'Oran, d'Alger, de Constantine, à PREMAR et, bien sur, au Ministre de la Défense Nationale à Paris.

En voici quelques extraits significatifs : ..

"La mission essentielle en matière d'ordre public est actuellement de prévenir d'abord et si nécessaire de réprimer toute tentative OAS de se rendre maîtresse de tout ou partie de centres comme Alger, Oran, Bône, etc...".

Suivent les consignes pour "ouverture du feu après sommations sur tout élément et tous individus menaçant les FO ou s'opposant à leurs mouvements...",

ou sans sommations, "en riposte à élément séditieux armé ayant fait usage de ses armes..." ou encore : "emploi armement grande puissance et léger des engins blindés" et enfin : "Feux aériens subordonnés à autorisation GENESUPER et V° RA - Feux navires subordonnés à autorisation GENESUPER et PREMAR IV".(6 - top 10)

Message du 24 decembre 1961, signé Ailleret et portant en tête la mention : "Attention ! message chiffré non démarqué à ne pas diffuser tel quel... ne pas declasser".

-Du 11 au 19 fevrier 1962, conférence secrète aux Rousses, Joxe-Krim Belkacem.

-Du 7 au 18 mars 1962, 2ème conférence d'Evian : accord France-GPRA et libération de Ben Bella et de ses compagnons.

- Le 8 avril, en Métropole, le peuple français, consulté habilement par référen­dum, avalise les accords d'Evian dont il ne connait ni le contenu, ni les carences, et qui n'offrent aux Français d'Algérie, européens, musulmans et surtout musulmans ayant servi la France, aucune garantie reelle. Le proche avenir ne tardera pas à le demontrer, tandis qu'ils sont immediatement remis en cause par le FLN.

Entre cette deuxième conférence d'Evian et le référendum, nous avons atteint, en Algérie, le paroxysme du drame.

-Le 19 mars 1962, est signé le "cessez-le-feu" bi-latéral à midi, terme officiel qui enferme l'Armée française dans ses casernes tandis qu'enlèvements et assassinats se multiplient.

-23 mars 1962, blocus total de Bal-el-Oued.

-26 mars 1962, fusillade place de la Poste et rue d'lsly (64 morts recensés, et plus de 200 blessés, dont certains mutilés à vie).

Les engins blindés de la Gendarmerie mobile ont employé leur "armement à grande puissance et léger", le 23 mars, contre les façades aux volets fermés des immeubles de l'avenue de la Bouzaréa" à Bab-el-Oued, tandis que des avions en pique mitraillaient les terrasses.

Le 26 mars, huit section du 4ème RT fraîchement arrivées de Berrouaghia, conformément aux directives du général De Gaulle qui n'hésitait pas à préciser des détails : « ...les forces militaires formées en colonnes entreront dans la ville et disperseront les éléments insurrectionnels » (réunion du Comité des Affaires Algériennes du 20 décembre 1961), sont réparties en quatre points. Ce sont celles de la 6ème Compagnie qui sont placées a l'entrée de la rue d'lsly. Ces Tirailleurs n'ont, bien sur, pas reçu la moindre formation spéciale, même accélérée, au maintien de l'ordre en milieu urbain. Ils sont fatigués et tendus d'être, depuis une semaine, ballottés par le Commandement, d'un quartier à l'autre, dans cette grande ville inconnue, affolante par l'atmosphère qui y règne, pour se trouver, enfin, déployés place de la Poste et rue d'lsly, face à la foule des Algérois en mouvement vers Bab-el-Oued. Ces hommes disposent de l'armement normal de campagne, utilisé dans le djebel : pistolets-mitrailleurs, fusils et fusils-mitrailleurs. La panique va les conduire à s'en servir... Certes, leur officier ne leur a pas donné l'ordre de tirer. En depit de tout ce qui a pu être dit par la suite, le véritable responsable du drame c'est le Commandement qui les a places là, donc, l'Armee.

Pour ce résumé difficile tant faits et sentiments s'imbriquent, nombreux et com­plexes, je n'entrerai pas dans les détails que j'ai longuement étudiés par ailleurs (3), car l'objet actuel de ce complément concerne l'attitude de la Marine, sans oublier le général Ailleret, relais local des ordres venus de Paris.

En 1962, le Surcouf, escorteur d'Escadre D621, est un bâtiment relativement récent. Construit à l'arsenal de Lorient, il a été mis à flot en octobre 1953 et dispose des équipements les plus modernes. II présente, à l'avant, une tourelle double de canons de 127 et, par ailleurs, des canons de 57 et des tubes lance-torpilles (TLT). Entre en service en 1955, il porte, depuis 1959, la marque de I'Amiral Commandant la Flottille d'Escorteurs d'Escadre (ALFEE) et fait partie de 1'Escadre de Méditerranée. Début janvier 1962, il est à Toulon. «Les exercices individuels ou de flottille se poursuivent à un rythme élevé. Le Surcouf et l'Escadre participent à plusieurs sorties d'intérêt majeur, notamment "Big Game", du 29 janvier au 4 février, et "Dawn Breeze 7" du 6 mars au 4 avril, avec escale à Ajaccio, Naples, Bizerte, Alger, Mers El-kébir.» (4).

Du 14 au 16 mars, il est à Naples; du 23 au 25 mars, à Bizerte. Dans la nuit du 25 au 26, il reçoit l'ordre de stopper dans la baie d'Alger, face à Bab-el-Oued. Aucun des rares documents qu'il est possible de consulter ne permet de savoir si cette esca­le était exactement prévue à cette date. II porte alors la marque du Contre-Amiral Bailleux, Commandant la Flottille. Tel une suite au message de 1961 du Général Ailleret, cet arrêt, en cet endroit, à ce moment là, donnait soudain au bâtiment l'as­pect d'une menace réelle et redoutable.

Accaparés par le déchaînement des violences, nous n'y avions pas prêté" atten­tion a l'époque. Par la suite, journalistes et historiens ne se sont guère posés de ques­tions sur cette présence insolite, bien trop opportune pour être fortuite, car le messa­ge du Général Ailleret n'a été rendu public que beaucoup plus tard. Nous en trouvons trace dans l'ouvrage de Paul Henissart, paru en 1970 (5), sous forme d'une mention laconique : «La flotte qui croisait le long des cotes fut mise à la disposition du Commandant en Chef». Puis, vingt ans plus tard, dans deux ouvrages d'André Figueras, "Onze amiraux dans l'ouragan" (1991) où, sous le titre "Du nouveau en 1961", une brève mention nous apprend que «le Commandant Picard d'Estelan, Commandant le Surcouf, fut mis en demeure, d'ordre direct du Général De Gaulle, d'ouvrir le feu de ses gros canons sur Bab-el-Oued", et, "Petain et la Marine" (1992) où on peut lire un "complément d'information apporté par cet officier".

Grace à un aimable correspondant, j'en ai pris connaissance en février 1999, soit trente sept ans après les heures dramatiques que nous vivions à Alger. J'ai voulu en savoir plus. Pour toutes les études que j'ai réalisées sur des points de notre histoire contemporaine, je me suis rendue au Service Historique, puis dans des bibliothèques, mais surtout je me suis efforcée de prendre contact avec des témoins au nombre amenuisé par les années passées, susceptibles d'apporter un peu de chair aux documents libérés. II m'a toujours semblé indispensable de leur donner la parole tant que c'est encore possible.

A propos de la présence du Surcouf dans la baie d'Alger, les 25 et 26 mars 1962, je n'ai presque rien trouvé au Service Historique de la Marine, encore moins au Musée de la Marine mais j'ai, heureusement, pu rencontrer le Commandant Picard d'Estelan, et j'ai reçu le témoignage d'un autre officier.

Ce dernier, Henri Morfin, Capitaine de Vaisseau honoraire, était alors Capitaine de Corvette, Commandant en second du Surcouf depuis le mois d'octobre 1961. II se souvient: «A partir du mois de mars 1962, I'Amiral Bailleux a embarqué à Toulon avec son Chef d'Etat-Major, le Capitaine de Frégate Paul Gueirard et un Etat-Major réduit. Le Capitaine de Vaisseau Picard d'Estelan, Commandant du Surcouf, devenait son Capitaine de Pavillon. Heureusement que I'Amiral était présent, cela mettait le Commandant à I'abri de toute pression extérieure intempestive.

Nous participions à des exercices avec la Flottille. Nous nous trouvions à Bizerte le 23. Nous avons pris la direction d'Alger le 25 et mouillé en face de Bab-el-Oued, vers 7h30 le 26. En fonction de I'évitage du bâtiment (espace libre nécessaire à notre mouvement), j'avais fait orienter les canons vers la mer et mis I'équipage au repos, torse nu sur le pont, service du dimanche. Plus tard, nous avons été survolés par un hélicoptère ou I'on distinguait un Général qui semblait très intéressé par le farnienté évident de I'équipage.

Le Chef d'Etat-Major est parti en vedette chercher les ordres du GENESUPER a la Regahia. II a été arrêté trois fois aux barrages parce qu'il n'avait pas le mot de passe ! Au bout de deux heures, je I 'ai vu revenir avec des plis qui, m 'a-t-on dit, n 'ont jamais été ouverts. Le Commandant me I'a d'ailleurs confirmé : «Les ordres sont dans mon coffre, Ils ne seront pas ouverts ». Non suivis d'effets, ces ordres n'ont pas été connus à mon échelon. II serait intéressant de les retrouver aux archives...

Nous sentions bien que des choses graves se passaient à terre. Dans I'après-midi, le Lieutenant de Vaisseau responsable des Transmissions a essayé d'intercepter des communications sur une longueur d'onde de la Police, mais il n'était question que de déplacements de véhicules. Nous n'avons appris la fusillade que plus tard. Nous avons appareillé le 27 au petit matin en direction de Mers El-kébir, pour reprendre le cours de nos exercices avec la Flottille. Le 31 mars, nous repassions devant Alger, mais au large cette fois.

Comme je n'ai jamais caché mes sentiments sur ce que j'appelais "la capitula­tion d'Evian" et les malheurs qui ont suivi les accords, en 1965, mon Ministre m'a prié d'aller exercer mes talents ailleurs. J'ai terminé ma vie active comme ingénieur dans une filiale de Renault..»

Le Capitaine de Vaisseau honoraire Jean Picard d'Estelan, à léepoque, Capitaine de Frégate, a pris le Commandement du Surcouf le 21 mai 1961 et il l'a quitté le 15 juin 1962. II a accepté de me recevoir. Vif, chaleureux, il a aimablement répondu à mes questions, centrées sur le point particulier de sa carrière qui a soudain coincidé avec un épisode douloureux, et maintenant lointain, de notre histoire.

F.D. - Avant de vous rencontrer, j'ai tenté de me renseigner sur le Surcouf, au Service Historique de la Marine, à Vincennes. Je n'ai reçu à consulter que quelques documents très techniques - votre rapport de fin de Commandement, par exemple -ou celui de la "condamnation" du Surcouf en 1972, mais aucun carnet de bord. Vous commandiez le Surcouf en 1961-1962. J'ai remarqué qu'on ne trouve, ni dans les très rares documents, ni dans les quelques ouvrages communiqués où il est cité, aucune mention de ces années, ni bien sur, de l'escale à Alger, le 26 mars 1962. Impasse totale... n'est-ce pas étonnant ?

Comme je posais la question, on m'a répondu que les documents et carnets de bord étaient maintenant dans les archives des ports d'at­tache des bâtiments. C'est donc Lorient pour le Surcouf, je n'y suis pas allée...

P.E. - C'est sûrement étonnant. Moi aussi, j'ai essayé d'obtenir des archives auprès des Services Historiques de Lorient et de Brest. Je n 'ai reçu que quelques bricoles. Je n'ai même pas eu la liste officielle de mon équipage et j'ai du reconstituer de mémoire celle des officiers de mon équipage! Je pensais que la Marine avait conservé les documents. Mais il faut remarquer que rien d'autre que les mouvements du bateau n'a figuré dans les archives du Surcouf puisque, finalement, il ne s'est rien passé...

F.D. - Ou qu'elle ne tient pas à ce qu'ils soient divulgués... La Flottille est partie de Toulon en janvier 1962...

P.E. - Ou II y a eu, partir du 28 janvier, un exercice combiné entre I'escadre de Méditerranée et le Flotte Américaine. Un exercice parmi beaucoup d'autres. Le thème, très classique, était d'assurer la maîtrise de la Méditerranée occidentale contre les attaques aériennes et sous-marines d'un "pays rouge". J'étais le chef d'un groupe de chasse anti-sous-marins, composé du Surcouf et de I'américain Putnam. Expérience intéressante de coopération entre deux navires équipés d'appareils de détection et d'armes différents. Par mauvaise mer, nous avons apprécié la complémentarité des deux types d'équipements et constaté que nos appareils étaient performants.

F.D. - Courant mars, vous avez fait escale à Ajaccio, puis à Naples...

P.E. - Nous étions à Naples du 15 au 21 mars. C'est Ià que nous avons appris la signature des Accords d'Evian et le Cessez-le-Feu. J'ai réuni I'équipage et je leur ai dit: vous en penserez ce que vous voudrez, mais, en fait, il s'agit d'une défaite pour la France. Je ne tolérerai donc pas de manifestations de satisfaction. Nous étions entourés d'autres bateaux qui ont tout entendu. Ce n'était pas un secret. D'ailleurs, j'étais déjà "classé" (10 14 TOP SECRET)

F.D. - Vous êtes ensuite arrivé à Bizerte le 22 mars. L'escale du Surcouf, dans la baie d'Alger, faisait-elle partie des exercices prévus ?

P.E. - Non, I'ordre est venu de Paris, via I'Amiral d'Escadre, de mettre deux Escorteurs d'Escadre à la disposition du Général Ailleret, I'Amiral d'Escadre a désigné le Contre-Amiral Bailleux, Commandant la Flottille et ayant marqué sur le Surcouf, pour diriger cette mission. Les deux bateaux sous ses ordres étaient le Surcouf et le Maille-Breze, commandé par le Capitaine de Frégate Pomier-Layrargues.

Nous sommes arrives à Alger le 25 mars. Notre Chef d'Etat-Major (Capitaine de Vaisseau Gueirard) est allé se présenter au Chef d'Etat-Major du Général Ailleret. Et c'est verbalement qu'il a reçu I'ordre de se préparer a tirer sur Bab-el-Oued. Au retour, il a rendu compte a I'Amiral Bailleux. Je n'étais pas présent. Je ne pense pas que I'Amiral Bailleux ait rencontré le Général Ailleret. Puis nous avons appareillé pour mouiller devant Matifou, à I'autre bout de la baie d'Alger. Nous avons ensuite reçu I'ordre de défiler devant Bab-el-Oued, à courte distance, le 26 au matin.

Bab-el-Oued avait tous ses pavillons en berne, et nous avions envie d'y mettre les nôtres aussi. Mais nous ne I'avons pas fait et nous nous sommes éloignés très vite.

Nous n 'avons jamais appelé aux postes de combat.

Mon opinion personnelle est, qu'après le drame de la rue d'lsly, on a essayé de faire participer la Marine et I'Armée de I'Air à la répression. La Marine a dit: non. J'insiste sur le fait que je n 'ai jamais reçu de I'Amiral Bailleux. d'ordre inacceptable. L'Amiral savait que je refuserais et, je le savais du même avis. Y a-t-il eu plus haut, et à quel échelon, un refus formel, je ne le sais pas.

Le 31 mars, le Surcouf est repassé devant Alger, au large cette fois, pour la poursuite des exercices.

Comme je l'ai dit, je n'ai pu consulter que très peu d'ouvrages et de documents, et je n'y ai trouvé aucune précision sur l'escale d'Alger, le 26 mars 1962, quand elle n'était pas simplement escamotée.

Par exemple, on lit: dans "Les flottes de combat"(7) une très intéressante description des capacités offensives du Surcouf, que le Général Ailleret espérait voir employées contre Bab-el-Oued. "Tous les affûts et tourelles sont télé-commandés à partir de télépointeurs munis d'appareils optiques et de radars a poursuite automatique, stabilisés au roulis et au tangage.

Ravitaillement semi-automatique depuis les soutes jusqu 'à la culasse, quel que soit le pointage des pièces en hauteur et direction. Grande caden­ce de tirs...".

Mais l'auteur passe de "la refonte à Brest en 1961-1962 pour le transformer en bâtiment de Commandement", à la mention de son affectation à l'Escadre de Méditerranée "de 1961 à 1964", sans plus de précision.

Dans le bref historique figurant au rapport du Contre-Amiral Sanguinetti: "En 1961, il reprend de I'activité à TOULON, BIZERTE, MER-EL-KEBIR (majuscules dans le texte). II rallie BREST pour un nouveau grand carénage à la fin de 1964... "(8). Rien sur l'Escadre de Méditerranée, ni sur les exercices "franco-américains d'intérêt majeur"(4) et Alger n'est pas mentionné.

- Dans le très bel ouvrage "De nouveaux noms sur la mer"(9), nous passons d'octobre 1961 ou "le Surcouf arrive à Toulon pour remplir le rôle de Bâtiment de Commandement de la 1ère FEE"... à mai 1962 ou il est à Brest "pour participer à une grande manifestation navale de réconciliation entre la France et l'Allemagne"...

Enfin, dans "Escorteurs d'Escadre"(4), sorti en 1997, l'escale d'Alger est simplement mentionnée dans le passage cité précédemment.

Certes, dans tous ces exemples échelonnés dans le temps, il s'agit d'historiques courts. II est pourtant permis de s'étonner que, dans aucun, le choix des faits estimés assez importants pour être cités, n'ait comporté cette escale d'Alger.

Remplace par le Général Fourquet, le Général Ailleret a quitté Alger le 25 avril 1962, un mois après le drame, alors que les Français d'Algérie, choqués au plus pro-fond, désespérés, se précipitaient vers les rares bateaux et les avions, dans une fuite éperdue.

Le 8 mars 1968, il a trouve la mort dans l'accident d'avion qui devait le ramener de La Réunion, "accident" discrètement annoncé et fort peu expliqué (10).

En métropole, les Français d'Algérie se débattaient alors dans les difficultés sans nombre de l’adaptation à un déracinement mal préparé qui les révoltait. Volontiers fatalistes, ceux qui l’ont su y ont vu la marque d'une justice immanente.

Le Surcouf, après un grand carénage à Brest, participa, à partir de 1965, aux activités de l'Escadre d'Atlantique. En 1971, il fut abordé de nuit par le pétrolier soviétique "Général Boucharov" dont l'étrave enfonça son flanc tribord à l'avant de la première cheminée. II y eut un blessé grave et cinq disparus.

"L'Escorteur d'Escadre Surcouf n 'étant ni repérable, ni réutilisable dans sa situation actuelle, je vous propose de condamner le bâtiment afin de I 'utiliser comme cible pour des tirs de Marine " écrit le Contre-Amiral Sanguinetti au Ministère de la Défense Nationale (8).

Triste fin pour un navire commandé, un jour, par des officiers qui surent, en refusant de tirer, donner au mot Honneur, son sens le plus haut.

NOTES

(1) Brouillon autographe, "premier jet", comportant de nombreuses ratures et cor­rections, d'un discours prononce à l'Hôtel de ville d'Alger par le Général De Gaulle, le 26 mars 1944. Adjugé pour 100000 F à un acheteur resté anonyme. (Extrait du catalogue de l'Hôtel des Ventes Drouot, Paris 11-12-98).

(2) "Autopsie de la guerre d'Algérie", Ph. Trippier, Ed. France-Empire (1972), d'où sont également extraites la plupart des dates qui précèdent.

(3) "Un crime sans assassins", Marie-Jeanne Rey et Francine Dessaigne, Ed. Confrérie-Castille (1994).

(4) "Escorteurs d'Escadre", R. Dumas et J. Moulin, Ed. Marine (1997).

(5) "La dernière année de l'Algérie Française", P. Henissart, traduit de I'américain par B. Fournels, Ed. Grasset (1970).

(6) Publications A. Figureras, BP 575 - 75027 Paris Cedex 07.

(7) "Les flottes de combat", H. Le Masson, Ed. Maritimes et d'Outre-Mer, Paris (1962).

(8) Rapport au Ministre de la Défense Nationale, pour I'Amiral Joybert, Chef de l'EM de la Marine, P.O. le Contre-Amiral Sanguinetti, Major- Général de la Marine (21-04-1972).

(9) "De nouveaux noms sur la mer", Contre-Amiral R. Fremy et Capitaine de Vaisseau G. Basili, ACORAM (1994).

(10) Curieusement, un roman de politique-fiction a paru, au Canada, en

1977: "Mort d'un général" de John Saul, traduit en français et édité la même année par le Seuil; puis réédité par Rivages en 1997. étude des milieux politico-militaires semble correspondre à des recherches ou des contacts sérieux. L'auteur avance une hypothèse plausible à propos des responsables de "!'accident", et donne une description très critique du caractère du "général Marcotte", clone d'Ailleret.

 


 
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