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CE QUE JE N’AI PAS DIT
Par Le général JOUHAUD
Chez Fayard

SAKIET SIDI YOUSSEF

EXTRAITS

P.45 - 54 - 55 - 56 - 58 - 59 - 60

Je crois que l'on peut dire, sans commettre d'erreur, que le bombar­dement de Sakiet, le 2 février 1958, a sonné le glas de la IVe République. Ce furent, en effet, ses répercussions dont les gaullistes se sont servis pour monter le coup d'État du 13 mai. Il est vrai aussi qu'ils ont été puissamment aidés par les rivalités des partis politiques qui n'arrivaient à aucune entente pour dénouer la crise ministérielle, ouverte en avril par la chute du gouvernement de M. Félix Gaillard.

Sakiet serait une initiative regrettable du haut commandement militaire, certes couverte officiellement, mais qui se serait apparentée à de l'indiscipline. En est-il ainsi ? C'est ce que nous allons tenter d'élucider, non sans avoir rappelé deux opérations antérieures qui illustrent la volonté offensive de certains ministres, car il est heureux de constater que nos responsables de la Défense nationale n'ont pas toujours été dupes de la prétendue neutralité des pays voisins de l'Algérie et encore moins enclins à accepter de leur part un soutien actif à la rébellion, soutien qui se manifestait parfois non sans ostentation.
…..

Le grave incident que l'on redoutait va se produire. Successivement, à huit jours d'intervalle, trois avions vont être sérieusement touchés par l'artillerie antiaérienne basée en Tunisie.

Le 30 janvier 1958, d'abord, un appareil T. 6 en mission de protection d'un convoi était abattu par la D.C.A. tunisienne. L'appareil se posait en pleine campagne à huit cents mètres de la frontière. L'équipage était dégagé par une patrouille, tandis que les mortiers rebelles ajustaient leur tir sur lui.

Le général Salan se trouvant à Paris, je lui rendais compte, non sans vivacité, de cette nouvelle agression. Je demandais instamment que le droit de riposte nous fût accordé. Le samedi 1er février, le général Salan, de retour à Alger, câblait au général Ély que, sauf contrordre de sa part, il ferait appliquer dès le surlendemain les mesures suivantes :

- reconnaissances aériennes autorisées jusqu'à la ligne frontière ;

- riposte automatique, dans les trois heures, à tout tir en provenance de la Tunisie.

Ce télégramme fut transmis au ministre de la Défense, au président du Conseil et aux Affaires étrangères. Le général Ély, au nom du gouvernement, donna un accord le 2 février 1958.

Il n'y avait, dans notre esprit, aucune ambiguïté dans la réponse du général Ély :

« Les mesures que vous avez prévues dans votre message n ° 31 sont approuvées. »

Pourtant le général Ély, dans ses Mémoires (Suez…, le 13 mai), insinue que sa bonne foi aurait été abusée. Il rappelle tout d'abord l'état d'esprit des aviateurs.

«Les formations aériennes, écrit-il, étaient ulcérées, car elles étaient sans défense » et

« l'ensemble des forces des trois armées ne comprenait pas cette attitude, jugée trop passive, partageant le mécontentement des aviateurs ».

Si ce général comprend l'exaspération des combattants, il s'élève contre les ministres qui, « avec une certaine part de démagogie, de bon aloi », avaient tendance à encourager les exécutants « à ne pas se laisser faire ».

Et il ajoute que cette attitude « s'était tout particulièrement exprimée lors du passage de M. Morice dans le Constantinois »

C'était exact et je me souviens fort bien que, le 2 octobre 1957, M. Morice, ministre du gouvernement Bourgès-Maunoury, mis en minorité, demandait au général Salan et à moi-même un peu plus d'énergie devant les provocations tunisiennes. Je lui répondis que, la veille et l'avant-veille, mes aviateurs avaient riposté au tir ennemi avec leur armement de bord. Le ministre en fut enchanté.

Pour en revenir à l'accord donné par le général Ély, ce dernier pensait que

«la riposte, telle qu'elle était prévue, semblait devoir consister, par exemple, en l'intervention de l'avion prenant la relève de celui qui, touché, n'aurait pu réagir lui-même ou encore en un tir de mortiers demandant un certain délai pour la préparation ».

Le chef d'état-major général ignorait, n'ayant jamais eu l'occasion d'exercer des commandements importants sur le terrain, quelle serait la réaction des hommes au combat.

Cette réaction fut vive.

En tant que général adjoint interarmées, je signais une instruction destinée au général commandant le corps d'armée de Constantine et au colonel commandant les forces aériennes du Constantinois. Compte tenu des directives antérieures de la Défenses nationale, je précisais que :

« La riposte aux tirs de la D.C.A. adverse est effectuée à l'initiative de l’armée de l'air :

« — Soit par attaque immédiate par les avions pris à partie ;

« — Soit par intervention du « Poste de commandement avancé Air » dans les trois heures qui suivent ;

« — Soit par demande de tirs adressée à l'armée de terre, sous réserve expresse d'identification sans ambiguïté de cette D.C.A., excluant tout tir systématique et aveugle sur un point ou une zone suspecte. »

Après l'incident du 30 janvier, un second T. 6  fut, le 7 février 1958, l'objet de tirs tunisiens, bien qu'évoluant aussi dans notre espace aérien. Le chef du poste français, qui fait face à Sakiet, le capitaine Bernon, avertissait son homologue tunisien que si ces tirs ne s'arrêtaient pas, nous interviendrions : avertissement qui ne fut pas pris au sérieux.

La patience de mes équipages atteignait un point critique. C'est alors que le lendemain 8 f
évrier un troisième appareil Marcel Dassault, piloté par le lieutenant Perchenet, fut gravement atteint par des tirs d'armes lourdes installées à Sakiet.

Qu'était-ce que Sakiet? Un village tunisien situé à quelques centaines de mètres de la frontière franco-tunisienne. Cette région constituait, avec celle de Ghardimaou, le centre de transit et de passage des convois rebelles à destination des wilaya 2 et 3. C'était aussi la base de départ du 3e bataillon de la wilaya de Souk-Ahras pour les opérations entre frontière et barrage.

A Sakiet, les rebelles occupaient des locaux, dont la maison forestière, cohabitant avec l'armée et la garde nationale tunisiennes. A six kilomètres au sud du village, étaient cantonnés dans les locaux d'une mine désaffectée, une katiba et un état-major F.L.N. Trois emplacements de D.C.A. étaient installés à Sakiet, dans le village même : deux sur la place centrale, un autre sur le poste de douane. Six emplacements de tir étaient érigés aux abords de la mine occupée seulement par des soldats rebelles, soulignons-le.

Le lieutenant Perchenet, moteur droit coupé, hélice en drapeau, pneu crevé, se pose en détresse à Tébessa. Le colonel Duval, commandant l'aviation tactique du Constantinois, décide de riposter. Il modifie la mission donnée à des bombardiers B. 26 et à des Corsair de l'aéronavale qui devaient opérer dans les Aurès.

Une opération sur Sakiet est rapidement organisée, les dossiers d'objectifs sur la frontière ayant été étudiés de longue date.

Le 8 février, à 9 h 50, le général de Rivals-Mazères, qui me remplace ce jour-là à Alger, car je suis en mission à Oran, rend compte des incidents et demande une décision au général Salan. Aucune hésitation du commandant supérieur interarmées : « Attaquez Sakiet. »

La riposte sera effectuée :

— Sur la D.C.A. de Sakiet par six avions de l'aéronavale, des Corsair, dont la précision du tir est remarquable.

— Sur la D.C.A. de la mine désaffectée par onze B. 26, armés de trois bombes de mille livres par appareil.

En outre, huit chasseurs-bombardiers Mistral complétaient le dispositif pour mitrailler les abords de la mine, à l'exclusion du village de Sakiet. L'attaque fut déclenchée à onze heures et la D.C.A. fut neutralisée.

La réaction de la presse française fut vive et le commandement militaire copieusement critiqué, même insulté. L'opinion internationale ne fut pas plus tendre. Personne ne s'était demandé si la destruction de la quasitotalité des villes allemandes, au napalm souvent, se justifiait par la nécessité d'amener le Reich à capituler plus rapidement et si la bombe d'Hiroshima s'imposait face au Japon. On semble avoir oublié assez facilement que dans ces métropoles il y avait des femmes et des enfants. De toute façon, on doit déplorer que des innocents soient les victimes de la guerre, toujours atroce : c'est elle la grande responsable.

Quant aux Américains, ils n'eurent pas de mots assez durs pour flétrir notre action. Ils ignoraient à l'époque que, bientôt, des milliers de tonnes de bombes s'abattraient chaque jour sur le Nord-Viêt-nam, lancées par des bombardiers lourds de l'U.S. Air Force !

En France, Robert Buron parlera « d'inconscience cynique et sereine de certains responsables militaires ou civils », Léon Noël « d'une telle stupidité qu'on ne comprend pas comment ce pays aveuli peut accepter pareille maladresse criminelle », tandis que le comte de Paris écrira : « Le bombardement aérien d'un village, où se trouvent des fellagha, mais aussi des civils, des femmes, des enfants, est inadmissible sur le plan moral quant à ses conséquences diplomatiques.»

Nous pouvions mesurer combien la propagande adverse, qui ne manquait pas d'exploiter tout incident, était habile. Comme l'écrivait le très gaulliste Louis Terrenoire :

« De Moscou à New York, en passant par Londres et Stockholm, chez nos alliés plus encore que chez les autres, ce fut à qui dauberait sur la France. De la voir clouée au pilori par tous — bourreaux de Budapest ou chasseurs de Mau-Mau — l'opinion nationale se partageait entre l'indignation, l'humiliation et la consternation l. »

Rapidement, l'émotion soulevée par le bombardement dégénéra. Ce n'étaient plus les militaires dont on demandait la tête, mais c'est sur Robert Lacoste ou Félix Gaillard que l'on s'acharnait et, parfois, l'occasion se présentait de manifester sa sympathie à ceux qui soutenaient le F.L.N. Jean Daniel pouvait écrire :

« Si aujourd'hui les Tunisiens se dominent mal, et je trouve encore que leur calme est singulier, c'est qu'ils ne s'y attendaient pas. On attend tout d'un ennemi, pas d'un futur associé. Même lorsqu'ils prenaient parti pour les Algériens contre la France, les Tunisiens avaient le sentiment qu'ils prenaient parti pour un avenir d'association avec la France. Je crains que Sakiet ne soit la fin d'une grande espérance. »

Toute la presse française, heureusement, ne nous accablait pas. Quelques journalistes, pour avoir un jour aussi fait la guerre, comprenaient notre réaction. Certains hommes politiques crurent bon de profiter de l'occasion pour intensifier leur propagande en faveur du retour au pouvoir du général de Gaulle. Ainsi Michel Debré, dans le Courrier de la colère du 14 février 1958, écrivait:

«Qu'un incident grave éclate... Ah ! si de Gaulle était là ! Mais le régime essaie de " tasser " l'incident, de camoufler la crise, afin d'éviter de Gaulle. Si le gouvernement «de Salut public, que le général peut seul présider, était en place depuis plusieurs mois, nous ne serions pas où nous en sommes en Afrique du Nord... »

Quelques jours après, il confirmait cet appel :

« L'autorité a un sens, elle a aussi un nom... Le nom : c'est le général de Gaulle, seule person­nalité capable d'allier à la fois le pouvoir et la liberté, l'indépendance et les alliances. »

Quant à M. Alexandre Sanguinetti, bien qu'à l'époque non gaulliste, il faisait part au général Salan «de ses sentiments personnels de profonde admiration pour la façon dont il assume les responsabilités ».1.  De Gaulle et l'Algérie, Louis Terrenoire (Fayard). 2.  Fin d'un empire, Raoul Salan (Presses de la Cité).

On a reproché au commandement en Algérie d'avoir préféré l'action aérienne à un raid terrestre. Le raid d'aviation, écrira-t-on, n'était probablement pas le moins coûteux ni le plus efficace pour réprimer la permanente agression qui se préparait en territoire tunisien. Peut-être faudrait-il aller à Tunis ? Le général Aumeran, ancien parlementaire, écrira :

« L'impératif qui nous conduisit à faire la conquête de la Tunisie et du Maroc subsiste toujours. »

Sans aller jusqu'à cette extrémité, pourtant inscrite dans les intentions du gouvernement précédent, pouvait-on envisager, comme les esprits modérés regretteront qu'elle n'ait pas eu lieu, une riposte terrestre ? Elle fut certes étudiée et, compte tenu de l'importance des forces rebelles stationnées dans la région de Sakiet, elle aurait dû comporter l'engagement des troupes terrestres avec appui d'armes lourdes, d'artillerie, d'aviation.

La mise en jeu de tels moyens, la dispersion des tirs d'artillerie auraient certainement provoqué dans Sakiet des destructions et des pertes bien supérieures à celles que causa l'action aérienne.

SITUATION POLITIQUE AUTOUR DE
L'AFFAIRE DE SAKIET

EXTRAITS

P. 50 -  51- 52 - 62
…..

M. André Morice avait été remplacé à la Défense nationale par M. Chaban-Delmas, qui était encore peu connu en Algérie, bien qu'ayant déjà occupé des fonctions ministérielles dans les cabinets Pierre Mendès France et Guy Mollet. C'était un « gaulliste », qui avait toutefois fondé en 1955, avec Mendès France, Guy Mollet, Mitterrand, le « Front républicain ». Il était attendu à Alger avec curiosité par les milieux militaires, car ce ministre de la Défense nationale était un général de brigade honoraire. Lieutenant d'infanterie de réserve, il avait exercé en 1944 les hautes fonctions de « délégué militaire national » en France occupée, ce qui lui avait valu en mai 1944 de recevoir, avec la Légion d'honneur, ses étoiles de brigadier. C'était normal, et si ce rapide avancement heurtait certains milieux militaires, ils auraient dû se souvenir que la formule était en honneur en Grande-Bretagne où les grades temporaires, dits acting, étaient attribués en fonction de l'importance des tâches exercées, à une époque déterminée.

Je ne connaissais pas particulièrement M. Chaban-Delmas, ne l'ayant aperçu que quelques instants, en septembre 1944, sur le terrain de Bordeaux-Mérignac, alors qu'il s'apprêtait à décoller pour Paris. J'avais apprécié l'allure sportive de ce général, guère plus âgé que les chefs de la révolution, les Desaix, Hoche, Lasalle, Ney..., qui commandaient en chef devant l'ennemi à moins de trente ans. J'avais toutefois été surpris, au premier abord, en découvrant un officier général qui n'était que chevalier de la Légion d'honneur et dont la croix de guerre paraissait modeste. Il ne m'adressa, avec condescendance, que quelques mots d'une parfaite banalité, car mon grade de modeste commandant aviateur, au milieu de si nombreux faux colonels, ne pouvait retenir son attention.

Dés son arrivée en Algérie, M. Chaban-Delmas prenait la parole à Bône, au cours d'une séance de travail à laquelle assistait un aréopage de généraux et d'officiers supérieurs. Après avoir rappelé que, contrairement à la légende, il n'était pas polytechnicien, mais simple inspecteur des Finances, M. Chaban-Delmas expliquait le sens de la crise qui avait provoqué la chute de Bourgès-Maunoury. Après avoir exposé les buts que se fixait le nouveau gouvernement, il concluait, dans une belle envolée oratoire, en nous assurant de la chance de la France d'avoir à sa tête trois hommes jeunes, issus de la Résistance, qu'étaient le président du Conseil, Félix Gaillard, le ministre de l'Intérieur, Bourgès-Maunoury, et enfin lui-même à la Défense nationale. Ces trois gaillards (sourire) sauraient faire respecter les droits de la
France !.

Cette allocution, dite sur un ton quelque peu emphatique, aurait mieux figuré dans un meeting électoral que dans une réunion d'état-major. Le ton de voix désagréable du ministre, son assurance par trop excessive, sa discutable modestie nous laissèrent rêveurs sur son sérieux. Nous aurions à le juger sur ses actes et le sens des responsabilités qu'il manifesterait.

Les droits de la France ! M. Chaban-Delmas allait bientôt avoir l'occasion de montrer les résolutions du gouvernement dont il faisait partie, car les difficultés que nos troupes rencontraient à la frontière ne diminuaient guère. Après une très brève accalmie, fin 1957, les attaques reprenaient avec virulence et, le 11 janvier 1958, un détachement français fut violemment attaqué par une importante colonne ennemie, soutenue par des réguliers tunisiens.

Ce jour-là, le capitaine Allard, commandant un poste situé face au village de Sakiet, monte une opération pour tendre une embuscade, à sept cents mètres à l'ouest de la frontière, aux fellagha qui utilisaient un sentier pour transiter sur la Tunisie. L'opération doit donc avoir lieu en territoire français, précisons-le. Les deux sections du capitaine Allard, à peine arrivées aux abords de l'endroit choisi, sont prises à partie par un important détachement rebelle, opérant non seulement sur le territoire algérien, mais ouvrant le feu, par armes automatiques et mortiers, depuis les hauteurs dominantes situées en territoire tunisien. C'est au tour de la petite formation française d'être l'objet d'une embuscade tendue des deux côtés de la frontière. Lorsque les renforts arriveront, dès que notre aviation interviendra, les fellagha décrocheront sous la protection des bases de feu installées sur le sol tunisien et les rebelles seront récupérés par des G.M.C. de l'armée tunisienne qui avaient auparavant transporté des renforts sur les lieux du combat. Le bilan, du côté français, sera sévère. On trouvera sur le terrain quatorze cadavres, affreusement mutilés. Quatre soldats sont faits prisonniers.

Aux obsèques des victimes, le capitaine Allard dira :

« Vous êtes morts dans un combat difficile, devant un ennemi supérieur en nombre, aidé par ses amis tunisiens. Nous le savons maintenant ! »

M. Félix Gaillard voulut réagir. Il envoya son conseiller militaire, le général Buchalet, remettre en main propre une lettre à M. Bourguiba. Ce dernier refusa purement et simplement de recevoir l'émissaire du président du Conseil français.

Notre gouvernement n'insista pas ; on ne pouvait lui reprocher un excès de susceptibilité.

Ce n'était pas la première fois que la France tentait de dénoncer ces attaques menées d'un pays, en principe neutre. Mais le Quai-d'Orsay était-il aussi sensibilisé que les soldats qui montaient la garde à la frontière ? On peut en douter si l'on écoute un diplomate, M. Alain Peyrefitte. Ce dernier, après avoir souligné l'importance des forces de l'A.L.N. stationnées au Maroc et en Tunisie, convient que nos troupes doivent, l'arme au pied, subir les attaques des rebelles sans riposter. « Depuis trois mille ans, cela ne s'était encore jamais vu, ajoute-t-il. Les militaires ont de la peine à comprendre cette situation. »

Ces derniers réagissent, oubliant que « le Maroc et la Tunisie sont deux pays neutres ; bien plus, deux pays amis de la France, coopérant avec elle plus qu'avec aucun autre pays. Il y a des choses qu'on ne peut pas faire : riposter à l'A.L.N. est de celles-là. »
.....

Nous ne fûmes pas désavoués officiellement par le gouvernement. M. Chaban-Delmas ne se montra toutefois guère chaleureux en privé. Le 22 février, à son arrivée à Alger, il répond au général Salan qui veut lui montrer des Corsair: «Cachez-moi ces avions que je ne saurais voir... » Et il détourna la tête1.

Dans ses Mémoires, parus sous le titre L'Ardeur2, l'ancien ministre prétend que le commandement « avait négligé d'en référer au gouvernement » et que « cela méritait sanction». Il avait probablement prêté peu d'attention à l'accord que le général Ély nous avait donné, au nom du gouvernement. Pourtant, M. Chaban-Delmas admettait qu'il fallait tenir compte «des conditions insoutenables » qui « étaient imposées à nos troupes ».

Je fus reçu par M. Chaban-Delmas, qui ne me cacha pas pouvoir m'estimer heureux d'avoir été couvert par mon ministre, par lui-même. Il stigmatisa l'action de Sakiet avec véhémence. J'appréciais fort peu ces propos, et je demandais au ministre si, d'abord, il désapprouvait l'accord de son chef d'état-major, le général Ély, à notre action et ce qu'il aurait fait s'il avait eu une responsabilité opérationnelle en Algérie.

Nous nous quittâmes assez froidement, et c'est sans étonnement que je reçus un mot de mon secrétaire d'État à l'Air, M. Christiaens, me faisant savoir que ma promotion au grade de général d'armée aérienne, qu'il avait proposée au gouvernement avant Sakiet, devait être différée et qu'il me faudrait attendre un changement du climat politique.

Après les événements du 13 mai, avec l'arrivée au pouvoir de De Gaulle, ma cinquième étoile ne tardera pas à m'être attribuée.

1 – Op.cit.,Raoul Salan

2 – L’Ardeur, Jacques CHABAN-DELMAS(Stocl),

.....

 


 
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