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De Gaulle
 
 

CE QUE JE N’AI PAS DIT
Par Le général JOUHAUD
Chez Fayard
13 Mai 58

Partie 2

«   RÉSURRECTION 2   »

 Le général De Gaulle n'est pas devenu président du Conseil sans rencontrer de nombreuses difficultés. Bien que notoirement incapables de dénouer la crise, les parlementaires s'efforçaient de trouver une solution. Ils excluaient toutefois autant un cabinet d'union nationale que De Gaulle, et la France n'était plus gouvernée. L'ancien chef de la France libre s'impatientait, mais il désirait manifestement parvenir aux affaires dans la légalité. Il ne fit cependant aucune objection aux intentions de son entourage qui, conscient des obstacles se dressant chaque jour sur le chemin du pouvoir, envisagea une opération militaire, destinée, selon les uns, à clarifier la situation par la force, considérée par d'autres comme une simple menace qui obligerait le gouvernement Pflimlin à s'incliner devant De Gaulle. Ainsi fut élaborée l'opération « Résurrection », dont il convient de préciser quelques points.

C'est le commandant Vitasse, de l'état-major du général Massu, qui en a été la cheville ouvrière. Déposé par avion au petit matin, le 18 mai, à Pau, cet officier, avec beaucoup de dynamisme, prendra tant en province qu'à Paris de nombreux contacts avec les milieux militaires et civils. Son ordre de mission, comportant les signatures de Salan, Jouhaud, Massu, lui ouvrira de nombreuses portes. Dans ses grandes lignes, l'opération consistait à réunir à Paris une force composée de parachutistes, d'éléments blindés et de fantassins, groupement représentant un ensemble non négligeable. Avait-on l'intention de s'en servir et, dans ce cas, l'ordre d'exécution de
« Résurrection » a-t-il été donné ? Précisons ces deux points.

2.  Chronologie sommaire de «Résurrection», opération dont la mise sur pied fut assez complexe.
18 mai. Le commandant Vitasse est déposé à Pau pour préparer «Résurrection».
27 mai. A 1 heure, les généraux Salan, Massu, compte tenu des informations que leur présente le commandant Vitasse, décident de la date d'exécution de « Résurrection » : 30 mai, à partir de 2 h 30.
A 9 heures, le commandant Vitasse, de retour à Paris, apprend qu'un haut comité militaire parisien coifferait l'opération, sans faire appel aux forces d'Algérie. A 10 heures, Michel Debré arbitre.
28 mai. A 16 heures, étude dans le bureau du général Salan de l'opération «Résurrection ». Il demande au général Jouhaud de reprendre cette étude.
- 29 mai. Dès le début de la matinée, la question du transport aérien est mise sur pied. 75 heures, le général Jouhaud reçoit du général Gelée le top pour « Résurrection » : 30 mai à partir de 2 h 30. 15 heures, en Métropole, premiers décollages de la Région parisienne vers le Sud-Ouest.
15  h 30, Paris annule ordre opération.
16  heures, les avions en route vers le Sud-Ouest sont rappelés en vol.

Dès son arrivée en France, le commandant Vitasse s'est assuré du concours des généraux Miquel et Descours, commandant respectivement les régions militaires de Toulouse et de Lyon. Descours prend contact avec les généraux Gillot et Widerspach-Thor, qui occupent des fonctions identiques aux siennes à Marseille et à Dijon. La France mili­taire est ainsi sérieusement structurée. En outre, Vitasse a reçu l'adhésion des colonels Château-Jobert, Brothier, Devisme, qui sont à la tête des unités de parachutistes de Pau et Mont-de-Marsan. Il peut aussi compter sur l'engagement du groupement de Rambouillet, du bataillon de Joinville, de quatre compagnies de C.R.S., et du train des équi­pages... L'outil est solide ; aucune difficulté n'est à prévoir dans l'une ou l'autre des deux hypothèses qui ont été étudiées à Alger, De Gaulle arrivant au pouvoir, soit dans la légalité, soit par la force :

- Dans la légalité, l'armée aurait à assurer la surveillance de tous les points sensibles en France et protégerait l'ensemble du territoire contre les réactions extrémistes ;

- Par la force, un dispositif militaire serait mis en place pour permettre l'atterrissage à Paris et dans d'autres villes de France des parachutistes venant du Sud-Ouest et d'Algérie.

Le général Salan est le maître de la manœuvre, bien qu'en France il doive compter avec les intentions du général Gelée, chef d'état-major de l'armée de l'air, qui n'a aucune relation avec le général Miquel, désigné pourtant par Alger pour prendre la direction de l'opération en Métropole. Quel est l'état d'esprit du général Salan ? Je crois pouvoir affirmer que, s'il ne rejette pas le principe de « Résurrection », il ne tient pas particulièrement à prendre la responsabilité d'une opération qui s'apparente à un coup d'État. Autour de lui, certains insistent pour que les parachutistes soient dirigés dans les meilleurs délais sur Paris. L'état-major gaulliste de la rue de Solférino, par l'intermédiaire de Jacques Soustelle, fait connaître son impatience. Au cours d'une réunion, le 28 mai, l'ancien gouverneur nous communique une lettre de Michel Debré qui envisage trois cas où « Résurrection » devrait avoir lieu :

De Gaulle ne pouvant obtenir l'investiture du Parlement ;

De Gaulle investi ayant besoin pour se maintenir au pouvoir d'un soutien militaire;

- Un coup de force communiste mettant la République en danger et exigeant l'emploi de l'armée pour le réprimer.

Ce message reflète-t-il la pensée profonde de De Gaulle ? Jacques Soustelle ne saurait en douter, étant donné la confiance qu'accordé le Général à Michel Debré. Aussi insiste-t-il pour que « Résurrection » soit déclenchée sans plus attendre. Nous inclinons à nous ranger à son avis puisque De Gaulle accepterait nettement l'illégalité. La veille, 27 mai, par la voie de la radio officielle, cet homme, qui sollicite le pouvoir et vient seulement d'entamer « le processus régulier nécessaire à l'établissement d'un gouvernement républicain capable d'assurer l'unité et l'indépendance du pays », manifestait sa confiance au général Salan, à l'amiral Auboyneau et au général Jouhaud. Il était assez inattendu qu'un candidat à Matignon s'adressât directement à des chefs militaires, en rébellion ouverte, pour leur demander en fait de poursuivre leur action. Le gouvernement avait-il encore la moindre autorité puisque les moyens légaux d'information étaient accordés à De Gaulle, qui exprimait sa satisfaction à des militaires ayant étendu, les jours précédents, leur mouvement en débarquant en Corse ? L'imbroglio était total. Nous saurons, bien plus tard, que De Gaulle avait adressé ce message aux généraux d'Algérie, à la demande de M. René Coty, mais nous ne pouvions que l'ignorer à Alger et ce témoignage laissait à penser que De Gaulle .se trouvait, à son tour, au bord du Rubicon.

Nous sommes donc, le 28 mai, réunis avec Jacques Soustelle et Jacques Massu dans le bureau du général Salan. Soustelle vient de commenter la lettre de Michel Debré. Le commandant en chef ouvre son coffre, en extirpe le plan « Résurrection », mis au point par l'état-major de Massu. La lecture de ce document, comme il le dira dans ses Mémoires, l'avait laissé perplexe, car il n'y était « nullement question du transport par air d'Alger sur Paris ». Il avait trouvé « ce projet un peu léger et incomplètement étudié ». Il l'avait donc rangé, n'ayant nullement envie de se livrer « à pareille aventure ». Pour ma part, je n'avais jamais eu connaissance de ce travail. Le général Salan me demande de revoir cette étude, ce que je ferai dès le lendemain.

Le général Salan, devant la confusion politique, se décide donc à intervenir. Et ce n'est pas le général Dulac, envoyé en liaison la veille, à Colombey, qui, à son retour, l'en dissuadera. Le général De Gaulle veut prendre la situation à son compte, en arbitre, mais si les milieux politiques s'entêtent à lui refuser le pouvoir, il faudra bien leur imposer la « solution De Gaulle ». Il faut « sauver la baraque » et ce que fera le général Salan sera pour le bien de la France.

Dans ses Mémoires, André Dulac précise :

« Ainsi, le général Salan a le feu vert pour déclencher l'opération " Résurrection ", ou pour ne pas la déclencher. Il devenait, pour un temps, le seul arbitre de la situation quant à son évolution institutionnelle ou révolutionnaire 1. »

Le lendemain, 29 mai, je mets sur pied, avec mon ami, le colonel Alias, directeur technique d'Air Algérie, les colonels Blanchet et Roy, les détails de l'expédition fractionnée en deux colonnes, qui devront arriver sur Paris en même temps, malgré les vitesses différentes des avions civils et militaires. En effet, nous avons été contraints de faire appel aux appareils d'Air France et d'Air Algérie, le tonnage militaire étant insuffisant. L'armada aérienne sera assez hétéroclite. Je fais signer au général Salan l'ordre de réquisition de l'aviation civile 2, mesure indispensable à laquelle personne n'avait encore songé. Il faut aussi régler les questions de guidage et d'atterrissage en cas de mauvais temps. Le colonel Blanchet, de mon état-major, partira sans tarder pour Paris mettre au point ces questions avec l'état-major général. Le problème « Résurrection » est réglé. Encore doit-on disposer d'un préavis suffisant pour mettre en alerte les équipages militaires et civils.

1Nos guerres perdues, André dulac (Fayard).
2.  A compter du 30 mai 1958, à 14 heures, tout décollage d'aéronef de transport civil, à partir des aérodromes d'Algérie, était subordonné à l'autorisation préalable du général Jouhaud, commandant la Ve région aérienne.

Le général Salan reste, en tout état de cause, seul maître du déclenchement de « Résurrection ». Au cours de notre réunion de la veille, aucune date n'a été avancée. Le général Salan, à qui, en cette fin de matinée du 29 mai, je viens de présenter le complément du plan que nous venons de mettre au point avec le colonel Alias, s'est montré satisfait du travail, mais n'a pas parlé de son intention de passer à l'action. Aussi est-ce avec une grande surprise que je reçois, ce même jour, jeudi 29 mai, peu avant 15 heures, une communication du général Gelée, chef d'état-major de l'armée de l'air, qui me donne le top pour le déclenchement de « Résurrection » dans la nuit. La conversation est brouillée, et peu après j'en reçois la confirmation :

« E.M.A.A. Paris 29 - 16 h 10 Z (1) - Pour action 5e R.A./C.A.A. A l'attention du général Jouhaud:

« Confirmation conversation téléphonique interrompue avec général Jouhaud  stop — Dire à général commandant en chef et général Massu que général de Gaulle complètement d'accord — stop — Nous attendons votre arrivée échelonnée à partir de 2 h 30 le 30 mai 1958 — stop — Moyens métropole en place avant vous — stop — Aucun changement ne peut intervenir — stop — Confirmer urgence votre accord au général Puget — stop — Grand-Père — Fin 2

Ce télégramme n'est que la confirmation de la communication téléphonique du général Gel
ée. S'il est signé « Grand-Père », pseudonyme du commandant Vitasse, c'est parce que ce dernier est le seul habilité, en Métropole, pour correspondre avec les généraux Salan et Massu, et leur transmettre des propositions ou directives dictées par les circonstances. Mon étonnement, à la réception de ce message, est normal, car j'ignore que le 27 mai, à 1 heure du matin, le général Salan a reçu le général Massu et le commandant Vitasse, qui venait d'atterrir après avoir effectué une liaison en France. Tous trois sont convenus que « Résurrection » aurait lieu le 30 mai. Je n'ai pas été mis dans le secret des dieux; pourtant, on ne peut se passer de l'aviation et mes équipages n'exécuteront que mes ordres. Je ne connaîtrai que longtemps après le 27 mai cette décision nocturne, qui était restée tellement secrète qu'elle aurait risqué de faire échouer « Résurrection ». Mais le général Salan tenait-il tellement à envoyer ses parachutistes sur Paris ? On peut en douter, car, si ses intentions avaient été différentes, il n'aurait pu faire autrement que me mettre au courant, moi qui seul dispo­sais des moyens aériens.

1.  Heure Z = heure légale + 1 heure - 16 h 10 z = 15 h 10 légale (exact en 1958).
2.  Le général Puget, qui a pris une part active au retour du général de Gaulle, deviendra par la suite ambassadeur de France.

Je me précipite chez le général Salan, lui faisant remarquer combien le préavis était insuffisant, mais que, malgré les difficultés qui en découlaient, la flotte aérienne pourrait décoller dans les délais prescrits. Le général est réticent, peu disposé à lancer l'opération sans que De Gaulle ne le lui demande nettement.

La discussion ne saurait du reste se prolonger, car, une demi-heure après la réception du premier télégramme, j'en reçois un second qui l'annule :

« Pour le général Jouhaud — Président République recevant Grand Charles, opération prévue est reportée. »

Ainsi, « Résurrection » n'aurait été qu'une simple menace ? Il n'en est rien, car en Métropole l'opération connut un début d'exécution.

Que s'était-il passé en France depuis l'atterrissage de Vitasse, le 18 mai?

Quelles réactions avait-il enregistrées en prenant contact avec l'armée de l'air?

Je fais appel, à ce sujet, au témoignage du général de Rancourt, qui commandait le G.M.M.T.A. 1. Lorsque Vitasse, le 20 mai, lui demande s'il consent à prendre en charge les parachutistes du Sud-Ouest, Rancourt, avant de faire connaître sa décision, désire l'assentiment du général De Gaulle. Ayant servi avec éclat dans les rangs de la France libre, ancien chef de cabinet de De Gaulle, il ne veut pas s'engager sans l'accord de ce dernier. Il l'obtient par l'intermédiaire de l'état-major de la rue de Solférino : Debré, Lefranc, Bonneval, Foccart, Guichard..., ce qui confirme que De Gaulle était loin d'être opposé à « Résurrection ». En outre, Rancourt ne peut s'engager que sur l'ordre de son chef, le général Gelée, qui est favorable selon les uns, réservé selon les autres, mais qui en fait se rangera dans le camp de la rébellion.

1. G.M.M.T.A. : Groupement des moyens militaires de transport aérien.

Le général Gelée est mis au courant de l'opération par l'intermédiaire de son sous-chef, le général de brigade aérienne André Puget, qui est en rapports étroits avec le général de Rancourt. Ces deux officiers ne voulaient à aucun prix que Gelée participât ostensiblement à l'entreprise, pour éviter une sanction l'éloignant de ses fonctions. Ils l'informaient pour décision, le sachant favorable, tout comme l'amiral Nomy. Si, en Métropole, le général Miquel pouvait se croire le chef de «Résur­rection», encore lui fallait-il avoir l'assurance que Gelée était en communion d'idées avec lui. Il y avait, en fait, deux hommes qui se partageaient les moyens : Miquel, les forces terrestres en principe, et Gelée, les moyens aériens. Mais la coordination entre Alger et la Métropole était assurée par le commandant Vitasse. Rien n'était possible pour la participation des parachutistes du Sud-Ouest, sans l'accord qu'il donnerait au nom des généraux d'Alger. On va s'en rendre compte le 27 mai.

En effet, ce jour-là, le commandant Vitasse atterrit à 9 heures sur le terrain de Villacoublay, arrivant d'Alger où, rappelons-le, au cours d'une réunion nocturne avec Salan et Massu, il a été convenu que « Résurrection » aurait lieu le 30 mai et que le général Miquel serait le commandant en chef civil et militaire jusqu'à l'arrivée du général Salan. Il se présente immédiatement au général de Rancourt, qui lui fait part d'une modification profonde du plan d'opération. Le haut commandement militaire à Paris, c'est-à-dire les chefs d'état-major des trois armées, a décidé de prendre en main « Résurrection », qui aura lieu sans la participation des parachutistes d'Algérie. Vitasse est d'autant plus stupéfait que le général de division aérienne Nicot, de l'état-major des forces armées, lui confirme la nouvelle. Le commandant Vitasse éclate :

« J'ignore quelles sont les troupes que vous avez l'intention de déplacer sur Paris. En tout cas, ne comptez pas sur les parachutistes du Sud-Ouest, qui n'obéiront qu'aux ordres que je leur transmettrai, au nom des généraux Salan et Massu 1. »

1. Extrait du rapport du commandant Vitasse.

La confusion est totale. Il faut trouver un arbitre. On va présenter ce différend à l'homme de confiance de De Gaulle. Il s'agit, bien entendu, de Michel Debré, qui rassemble autour de lui, sans tarder, l'état-major gaulliste de la conspiration. A 10 heures, autour du futur Premier ministre, sont réunis Foccart, Guichard, Lefranc, de La Malène, le général Nicot et le commandant Vitasse. Celui-ci déclare que, si aucun changement n'intervient sur-le-champ, il fera, à 16 heures, démarrer l'opération dans toute la France, avec les organisations civiles, paramilitaires et les éléments militaires qui arriveront d'Algérie si le général Salan donne l'ordre de passer à l'action. Michel Debré conseille la raison : la situation n'a pu évoluer que grâce au 13 mai et on ne peut pas éliminer les paras d'Alger. Tout le monde s'incline devant le représentant de De Gaulle. Le général Gelée, après s'être concerté avec les autres chefs d'état-major, se rangera à la décision proposée par le héraut de « l'Algérie française»

Si j'ai insisté sur cet épisode, c'est parce qu'il illustre la différence de conception que l'on pouvait avoir du déroulement de l'opération « R
ésurrection ». Certains envisageaient de faire simplement pression sur les partis politiques en concentrant des troupes dans la Région parisienne, tout en évitant un acte séditieux caractérisé. Il convenait de ne pas dépasser les limites de l'intimidation, c'est-à-dire, comme l'écrira le général Gelée à un de mes amis, d'éviter « la pagaille ou éventuellement un putsch de gauche », par « un coup de pouce». Dès lors, les chefs militaires en place à Paris suffisaient pour diriger ce « coup de pouce » avec toute la souplesse désirable. Compte tenu de ces intentions modérées, la participation des paras du Sud-Ouest était suffisante. Ces derniers, en outre, étaient moins sensibilisés par les événements que leurs camarades d'Algérie, qui vivaient dans une atmosphère de permanente exaltation et dont la présence à Paris aurait risqué de donner lieu à des incidents. Une opération, ainsi limitée et contrôlée, aurait permis à De Gaulle de déclarer être revenu au pouvoir dans la « stricte » légalité. J'ignore si le projet élaboré convenait entièrement à l'état-major gaulliste, car il présentait le danger de voir se former un gouvernement de Salut public devant lequel tout le monde s'inclinerait. Peut-être préférait-on, rue de Solférino, la solution moins nuancée de l'arrivée à Paris des généraux Salan et Massu avec trois régiments de parachutistes. Une action de force l'aurait sans nul doute accompagnée. En effet, quelles étaient les missions attribuées aux parachutistes ? Groupement de Vismes : se porter sur la Préfecture de Police et l'Hôtel de Ville ; groupement Cousteaux : se porter sur le ministère de l'Intérieur et protéger l'Elysée. Détacher ensuite un élément sur le central régional des P.T.T. ; groupement Château-Jobert : se porter sur la tour Eiffel, les studios de l’O.R.T.F., le centre des communications militaires avec les territoires d'outre-mer ; groupement Moulie : se porter sur la Chambre des députés, le ministère des Affaires étrangères, la présidence du Conseil, la direction générale des P.T.T. et les studios de l'O.R.T.F., occuper les locaux et neutraliser le personnel présent. Une telle action conduisait à s'emparer des leviers de commande de l'État ou tout au moins à les contrôler.

Le général Gelée s'étant rallié au plan établi, le guidage des avions, l'approche de la Région parisienne ne poseront aucune difficulté, les généraux Frandon et Viguier, responsables de ces problèmes, se déclarant ouvertement favorables.

Tout est paré pour l'opération purement aérienne. Aussi, le général de Rancourt ne sera pas surpris lorsque le 29 mai, vers 15 heures, Gelée, qui vient de me téléphoner pour déclencher les forces aériennes d'Algérie sur Paris, lui donne l'ordre de faire décoller sa flotte aérienne, « Résurrection » étant décidée, en accord avec Vitasse. Gelée se trouve à ce moment dans le bureau de l'amiral Nomy, qui est dans le même état d'esprit que lui. Rancourt donne le « feu vert » à ses commandants d'escadre du Bourget (colonel Stern) et d'Orléans (colonel Guegen), en alerte renforcée depuis le matin, sur instructions du chef d'état-major de l'air. En raison des ordres très stricts donnés par Chevigné et Jules Moch pour limiter les vols hors de la Région parisienne, excluant ainsi toute formation massive, les avions doivent décoller par paquets de trois à intervalles réguliers, ceux du Bourget d'abord, ceux d'Orléans ensuite. Trois Dakota du Bourget sont bientôt en route sur Perpignan et trois autres viennent de décoller, lorsque arrive le « feu rouge » de Gelée, le général De Gaulle devant être reçu par le président Coty. Les six avions atterriront sur la base aérienne d'Orléans, le colonel Guegen se déplaçant lui-même à la tour de contrôle pour signifier cet ordre aux leaders des formations. Les explications concernant cette mission insolite, données sur le moment, seront confuses.

Il faut donc souligner que l'opération « Résurrection » avait connu un début d'exécution en France. Elle avait été déclenchée.

Beaucoup penseront que « Résurrection » n'a été qu'une simple menace, mais que personne n'aurait pris l'initiative de la mettre en œuvre. Au palais d'Été, en août 1958, au cours d'un déjeuner, le colonel Coulet, commandant les commandos de l'air, rappelait au général De Gaulle que ses parachutistes avaient été chargés de sa protection à Colombey. Le Général s'adresse à Buron:

« Monsieur le Ministre, écoutez Coulet, vous qui vous refusez à croire que l'opération des parachutistes aurait pu avoir lieu. »

Le général Miquel, dans ses Mémoires, fera part de son scepticisme quant à l'authenticité du télégramme que Gelée m'a adressé. C'est normal, étant donné qu'il n'en a pas été informé. En raison du peu de temps dont il disposait, le commandant Vitasse avait alerté directement les  parachutistes  du  Sud-Ouest.  Initiative que certains estimeront discutable.

L'opération « Résurrection » aurait pu avoir lieu les jours suivants. Le général Salan la tenait en réserve, à la disposition du général De Gaulle, sur son seul appel personnel.

Le 1er juin 1958, De Gaulle recevait l'investiture. «Résurrection» était définitivement classée dans les archives.

Le commandant Vitasse a eu de nombreux contacts avec les militaires. En a-t-il eu aussi avec les milieux civils ? Son rapport fait état, en effet, d'entretiens avec des fonctionnaires d'autorité et en particulier avec M. Wybot, directeur de la D.S.T. Mais ce sont les réunions qu'il a eues avec l'aréopage gaulliste pour mettre au point l'opération « Résurrection » qui doivent retenir l'attention. Je les mentionne :

21 mai, rue de Solférino,  11 heures: séance de travail avec Jacques Foccart, Pierre Lefranc, Christian de La Malène.

25 mai, 12 heures : liaison avec Foccart.

27 mai, rue de Solférino, 10 heures : réunion avec Michel Debré, Foccart, Guichard, Lefranc, de La Malène.

21 heures : entretien chez Michel Debré, avec ce dernier et le général de Beaufort.

2 juin : entretien avec Guichard et Foccart.

Il faudrait être bien naïf, dés lors, sachant de plus le rôle joué par les émissaires de la rue de Solférino à Alger, pour ne pas admettre que le 13 mai fut un complot gaulliste, appuyé par une sédition militaire.

Le 3 juin, nous étions reçus, avec le général Salan, par De Gaulle à Matignon. L'entrevue fut de courte durée. En prenant congé de nous, le nouveau président du Conseil, qui semblait hésitant quant à la désignation du ministre de l'Algérie, décida brutalement :

« Le ministre de l'Algérie c'est moi, et vous, Salan, vous serez mon délégué général. »

Le 4 juin, De Gaulle atterrissait à Alger, accueilli triomphalement, cependant qu'une fausse note se faisait entendre :

« Vive Soustelle ! »

Avant de prendre la parole, il interroge de hauts fonctionnaires. A Roger Delahaye, gouverneur de la Banque d'Algérie, qui vient de brosser un tableau de l'économie algérienne, il déclare :

« Je vais m'adresser à la foule. Je ne veux surtout pas faire de promesses inconsidérées. En aucun cas, je ne lui mentirai. »

Qu'aurait-il pu dire s'il avait menti ? Constantine, Bône, Oran

« ville que j'aime et que je salue, bonne, chère grande ville française »

— lui réserveront aussi une émouvante réception 1. Mais à Mostaganem, devant cette foule colorée, presque entièrement composée de Français musulmans, il va ponctuer son allocution par l'historique :

« Vive l'Algérie française ! »

Les cent mille personnes présentes lui font un triomphe. Avec son sens de la gradation des effets, il avait dû réserver pour son dernier discours les paroles tant attendues. Comment douter, en l'écoutant, de sa volonté de maintenir notre drapeau sur la terre d'Algérie? Quelques heures après, sur le terrain de La Sénia, il me serre la main, tout ému de la réception qu'il a reçue à Mostaganem :

« Jouhaud, on ne va pas partir d'ici, tout de même.

Mais il n'en a jamais été question», lui répondis-je, bouleversé par cette phrase. Ainsi, De Gaulle avait envisagé d'abandonner l'Algérie, solution que Jacques Chevallier tenait pour certaine :

« De Gaulle, c'est l'indépendance. »

Une pluie d'étoiles va s'abattre sur les mutins d'hier. La médaille militaire va être décernée au général Salan. Il méritait bien cette haute distinction, lui qui avait permis à De Gaulle de revenir au pouvoir, sous l'apparence de la légalité 2. Une sédition qui réussit recueille tous les honneurs. Malheur à ceux qui échouent dans une entreprise extra­légale, quels qu'en soient les mobiles. Nous saurons un jour combien est durement sanctionné tout échec.

1.  Texte de l'allocution du général De Gaulle à Oran, le 6 juin 1958, dans le cahier de documents en hors-texte, page 5 (doc. 3).
2.   Le général Salan la méritait surtout pour ses services de guerre exceptionnels. De Gaulle ne pensait qu'à récompenser les services rendus le 13 mai.

Le F.L.N. avait décidé de s'opposer par tous les moyens au déroulement du référendum du 28 septembre. «Menaces de mort, vols de cartes d'identité et une intense propagande parlée et écrite », écrira Claude Paillât. Néanmoins, ce fut un très vif succès de participation : Algérie 80 % et Sahara 84 %.

L'Algérie avait, d'autre part, voté oui à raison de 96 % et le Sahara de 98 %. La bataille du référendum était gagnée, alors que le F.L.N. disposait du maximum des forces qu'il pourra mettre en œuvre durant toute la guerre 1.

Le général De Gaulle nous fit savoir sa profonde satisfaction. Le 3 octobre 1958, après avoir prononcé le discours de Constantine, il s'isolait dans un bureau sur le terrain de Telergma, puis rédigeait une lettre qu'il remettait au général Salan en lui disant :

« Lisez, vous communiquerez à vos vaillantes troupes. »

Après avoir fait des compliments au général Salan, au commandement, aux cadres, à la troupe, il terminait ainsi :

« II faut, à présent, achever au plus tôt la pacification complète de l'Algérie. J'ai confiance en vous pour poursuivre cette grande tâche. »

Avant le décollage de son appareil, le général De Gaulle serre la main des officiers présents. Il m'adresse quelques mots, m'exprimant la confiance qu'il me témoigne en m'attribuant les fonctions de chef d'état-major de l'armée de l'air, poste suprême auquel j'accède.

Dans l'avion qui le conduisait en Corse, il confiera, quelques instants plus tard, à Pierre Viansson-Ponté :

« Les généraux, au fond, me détestent. Je le leur rends bien. Tous des cons. Vous les avez vus, en rang d'oignons sur l'aérodrome, à Telergma ? Des crétins, uniquement préoccupés de leur avancement, de leurs décorations, de leur confort, qui n'ont rien compris et ne comprendront jamais rien. Ce Salan, un drogué. Je le balancerai aussitôt après les élections. Ce Jouhaud, un gros ahuri. Et Massu ? Un brave type, Massu, mais qui n'a pas inventé l'eau chaude2. »
Ces réflexions, faites à un journaliste, même de grand talent, n'étaient pas du meilleur goût3. A un échelon aussi élevé, on doit conserver pour soi certaines appréciations sur ses subordonnés, surtout lorsqu'ils occupent des postes d'autorité. De Gaulle se croyait souvent dans un corps de garde. Entendre reprocher à des officiers de la flagornerie pouvait étonner, venant de l'ancien colonel De Gaulle, flatteur servile de Paul Reynaud. De toute façon, comment qualifier un homme qui loue publiquement des officiers et, une heure plus tard, exprime son mépris à leur égard ? Hypocrite, fourbe, comédien ? Au lecteur de choisir.

 Pourra-t-on aussi s'étonner qu'un jour, éclairés sur ces impostures, nous n'ayons plus cru une seule parole du chef de l'État? Notre révolte viendra en partie de ces mensonges réitérés.

1.  Effectifs rebelles à l'intérieur. Combattants réguliers : 1.11.1954, 400; 1.2.1957, 18000; 1.5.1958, 20000; 31.12.1961, 3500. Auxiliaires:   1.11.1954, 500;  1.2.1957, 38000; 1.5.1958, 46000; 31.12.1961, 16000 (Philippe Tripier, op. cit.).
2.  Lettre ouverte aux hommes politiques, Pierre viansson-ponté (Albin Michel).
3.  Ce qui n'empêchait pas De Gaulle d'envoyer, en décembre 1958, au général Salan la lettre reproduite dans le cahier de documents en hors-texte page 5 (doc. 4).

 Général JOUHAUD

 


 
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