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Les ‘’porteurs de valises’’
par Raymond MUELLE. 
Recueilli par Le Collectif des Rapatriés Internautes

Nouvelle Revue d’Histoire
article de son N° 8 de septembre-octobre 2003.

Comment des journalistes, des artistes, des prêtres, des militants catholiques, 
en sont-ils venus à se faire les complices du FLN.

Lorsque éclate la rébellion du 1er novembre 1954, les nationalistes algériens disposent déjà de sérieuses connivences dans l'opinion métropolitaine, ainsi que dans certains milieux européens d'Algérie. En France, à partir de médias anticolonialistes, des journalistes engagés, comme Claude Bourdet, Gilles Martinet, Roger Stéphane de France Observateur, Hervé Bourges et Georges Suffert de Témoignage chrétien, poursuivent un combat entamé contre l’armée française en Indochine. En Algérie, le professeur Mandouze, cofondateur de Témoignage chrétien, le docteur Chaulet, l’abbé Scotto et d'autres religieux ont favorisé le travail d'un couple de professeurs, les Jeanson, qui aboutira à la parution, en 1 955, de l’Algérie hors la loi, pamphlet qui entend prouver la légitimité du FLN.

Cette agitation médiatico-intellectuelle va susciter la création de ce qu'on appellera «la nouvelle gauche», où l'on trouve chrétiens et marxistes, trotskistes et francs maçons, syndicalistes et communistes dissidents. On y rencontre Robert Barrat, journaliste à Témoignage chrétien, ancien secrétaire général du Centre catholique des intellectuels français, Jacques Berthelet, ancien séminariste, Roger Colas de l'Action catholique, le professeur Henri Marrou. Les ex-communistes mettront sur pied, en novembre 1955, un «Comité d'action des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Algérie» auquel participeront Mauriac et Sartre.

L’attitude ambiguë des communistes mérite qu'on s'y arrête. D'emblée, le Parti communiste algérien fournit à la rébellion les premiers fabricants de bombes (Alvarez à Oran, Yveton à Alger) les premières poseuses de bombes d'Alger (Danielle Minne, Raymonde Peschard). Mais le FLN refusera la constitution de maquis communistes (l'aspirant déserteur Maillot et Laban sont rapidement neutralisés).

En métropole, le PCF refuse initialement toute participation officielle aux actions du FLN, se contentant de soutenir par sa presse les militants du PCA. Il interdit même la désertion de ses adhérents appelés sous les drapeaux, se bornant à conseiller l'insoumission. Cela n'empêche pas des actions individuelles. Le 15 janvier 1956, la police saisit à Nice 600 pistolets, provenant de la manufacture d'armes de Bayonne, destinés à être expédiés clandestinement en Algérie par des militants communistes. Ce qui n'empêchera pas le PCF de voter, le 12 mars 1956, les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet qui, après avoir tergiversé, entreprend la «guerre d'Algérie».

Dès le début de 1956, on enregistre justement les signes d'une gangrène se manifestant par la multiplicité d'aides au FLN.

Chez les progressistes chrétiens, les journalistes et les prêtres fournissent un contingent important. La police identifiera rapidement plusieurs prêtres de la Mission de France dont certains prêtres ouvriers. Jean Urvoas et Robert Davezies ainsi que l'abbé Boudouresque, se feront particulièrement remarquer.

Mais il faut ajouter des noms appartenant aux milieux libertaires et trotskistes, ainsi que des cadres du PC et de la CGT, agissant à titre personnel. Dans cette mouvance, on peut citer Michel Raptis, alias Pablo, Maurice Craipeau, Henri Benoist, qui imprimera El Moudjahid...

En novembre 1955, le professeur Mandouze est arrêté ainsi qu'Anne-Marie Chauletet et Cécile Verdusant. Robert Barrat organise défense et pétitions, soutenu par François Mauriac et Jean Marie Domenach. Les inculpés sont rapidement libérés.

Jacques Berthelet, un des organisateurs des manifestations de rappelés tente de regrouper en Suisse des déserteurs et des insoumis. Sa «clientèle» ne dépassera jamais la dizaine, mais son réseau de passage de la frontière sera utilisé à d'autres fins par l'organisation qui va se mettre en place après l'arrestation de Louanchi et Lebjaoui, responsables de la Fédération de France du FLN. A la demande d'Omar Boudaoud, le nouveau responsable du FLN en France, cette organisation clandestine se constituera rapidement autour de Francis Jeanson, gérant des Temps Modernes et proche de Jean Paul Sartre.

La prise en main efficace de la population immigrée, astreinte au paiement de la «cotisation» et d'amendes diverses, va provoquer un afflux grandissant de trésorerie.

De province, les valises de billets sont acheminées vers Paris. Une partie des sommes collectées est utilisée sur place, en particulier pour la rémunération et le défraiement des « agents » permanents. Le reste, volumineux, est acheminé vers la Suisse, soit par la valise diplomatique tunisienne, soit par des moyens clandestins. Cette trésorerie nécessite de nombreux porteurs, très souvent féminins. Les valises pouvant d'ailleurs aussi bien receler des armes. Ainsi naîtront « les porteurs de valises », et l'appellation s'étendra à tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, aideront la rébellion. Les difficultés rencontrées conduiront à rechercher d'autres solutions pour les transferts financiers. Elles seront fournies par Henri Curiel, juif égyptien, membre du PCI, dont les relations bancaires internationales seront utilisées.

En 1957, la victoire des paras sur les terroristes de la bataille d'Alger provoque une intense campagne sur le thème de la «torture». Avec l'affaire Audin (la disparition d'un professeur de mathématiques d'Alger appartenant au PC), la condamnation à mort de la poseuse de bombes Djamila Bouhired, se multiplient les comités où se font remarquer Madeleine Rebérioux, Pierre Vidal Naquet et Georges Arnaud. Des campagnes de presse sont orchestrées par
L'Express, Témoignage chrétien, France Observateur, Le Monde.

La police observe une recrudescence de passages clandestins de la frontière espagnole. Il s'agit des«spécialistes» de l’Organisation spéciale du FLN, formés dans les camps du Maroc. L’abbé Davezies, Étienne Bolo, Jacques Vignes participent activement au transport, à l'hébergement, à la mise en place des tueurs envoyés par le GPRA pour intervenir en France. En Algérie, une dizaine de prêtres dont les abbés Scotto, Barthez et Cortes, ainsi que des religieux de Notre Dame d'Afrique, sont impliqués dans les réseaux de soutien. Seule, la peur du scandale évite à Monseigneur Duval, archevêque d'Alger, d'être lui-même inculpé.

Parmi les progressistes chrétiens, les protestants ne sont pas en reste. En mars 1958, le pasteur Mathiot est inculpé avec une équipe de fidèles: responsable de boîtes aux lettres, de dépôts d'armes, de collectes de fonds, d'hébergement et de complicités diverses avec les terroristes.

Les événements de mai juin 1958 et l'arrivée au pouvoir du général De Gaulle vont bouleverser la donne. Le FLN, intensifiant la guerre, a besoin de complicités plus actives, mieux organisées.

En octobre, l'affaire du séminaire du Prado fait la une des journaux. La police a découvert que des prêtres de la région lyonnaise couvrent une véritable trésorerie au profit du FLN. Plusieurs ecclésiastiques, l'abbé Carteron, le RP Chaize, le curé Magnin sont inculpés. Comme à l' accoutumée, l'affaire n'ira pas loin.

 

Les complices du FLN constituent désormais une nébuleuse relativement importante, coordonnée par Francis Jeanson. Le monde du spectacle, comédiens, chanteurs, techniciens, fournit un contingent où l'on retrouve les noms de Jacques Charby, André Thorent, Marina Vlady ou Serge Reggiani. Françoise Sagan se vantera plus tard d'avoir mis sa jaguar à disposition.

D'autres noms s'ajoutent à ceux déjà connus. Bernard Pingaud, Marcel Péju, Claude et Jacques Lanzmann, Vercors, Georges Arnaud, Simone de Beauvoir, qui prête sa voiture à la cause. Jérôme Lindon fait paraître La Gangrène, pamphlet accusant les tortures policières.

Le 20 juillet 1959, les journaux font état de quinze arrestations de terroristes à Lyon. L’opération permet de découvrir des dépôts d'armes et de saisir des plans de sabotage. Avec le responsable musulman de la wilaya est arrêtée Josette Augay, européenne, mère de famille, égérie du chef des saboteurs. D'autres arrestations suivent sur tout le territoire.

Au grand dam de la police, les complices français du FLN bénéficient de protections à des niveaux élevés. Ainsi, au moment où, sous la responsabilité du Premier ministre, Michel Debré, le Service Action est engagé dans des opérations de contre terrorisme sur le territoire national, le garde des Sceaux, Edmond Michelet, et son cabinet, participent activement à la protection des porteurs de valises. Joseph Rovan, du cabinet de Michelet, en témoignera, faisant état de filières personnelles entre le garde des Sceaux et le GPRA à Tunis. Certains affirment d'ailleurs que, par ce canal, le GPRA a été informé de la démarche de Si Salah avant De Gaulle lui même.

Un autre membre de ce cabinet, Gaston Gosselin, se vantera d'avoir informé les prisonniers de l'existence de micros dans leurs cellules du fort d'Aix. Il sera remplacé par Hervé Bourges qui, en 1962, choisira de prendre la nationalité algérienne. Dans ses confidences, Rovan se félicitera du soutien de Simone Veil, à l'époque magistrat attaché au ministère de la Justice, pour son rôle de protection des leaders FLN emprisonnés...

L’événement le plus notable du premier trimestre 1960 est la chute du réseau Jeanson. Depuis longtemps, la DST était informée des agissements de ces clandestins amateurs. Si Jeanson lui-même échappe à la rafle, en quelques jours, une trentaine de ses comparses sont mis momentanément hors d'état de nuire.

Les documents saisis chez Cécile Decugis, maîtresse du responsable de la wilaya III, apportent la preuve de l'emploi systématique des femmes européennes soumises à une emprise sexuelle.

Peu après, l'abbé Corre, de la Mission de France, est arrêté ainsi que deux passeurs du

« Mouvement jeune Résistance », à la frontière suisse.

Les accusés les plus compromis réclament l'intervention de Me Roland Dumas. Ce dernier, après une période d'observation prudente, a décidé de soutenir Jeanson. Dans la tourmente qui vient d'éclater, il informe son client des progrès de l'enquête policière en cours, ce qui lui permet de prendre des mesures indispensables.

De nouvelles arrestations et le procès de l'écrivain Georges Arnaud, compromis avec Jeanson, favorisent une agitation politico médiatique intense. Les prises de position du Parti Socialiste Unifié (PSU), qui vient de naître, celles de l'Union Nationale des Etudiants de France (UNEF), du Syndicat Général de l'Education Nationale (SGEN) se rejoignent. Georges Arnaud bénéficie de l'appui d'un comité de soutien où l'on trouve Yvan Audouard, Claude Estier, Armand Gatti, Joseph Kessel, Frédéric Pottecher et, quelques pétitionnaires perpétuels, François Maspero ou Pierre Vidal-Naquet.

Le procès du « réseau Jeanson » s'ouvre à Paris le 5 septembre 1 960. Six Algériens, dix-huit Français comparaissent. Ils sont défendus par vingt-six avocats. Roland Dumas en est le chef d'orchestre. Sa stratégie consiste à faire durer le procès le plus longtemps possible en utilisant la procédure. Le but est de ridiculiser les membres du tribunal et les discréditer aux yeux de l'opinion. Ce sera une parfaite réussite.

Une lettre de soutien de Jean-Paul Sartre fournira aux accusés l'approbation médiatisée de cet intellectuel incontournable. On saura plus tard que cette lettre était un faux, rédigé par Marcel Péju. Qu'importe.

Les remous sont profonds dans l'opinion publique apparente. L’intelligentsia de gauche témoigne son soutien aux porteurs de valises avec Le Manifeste des 121, une profession de foi dont les signataires ne sont pas tous des porteurs de valises, mais des sympathisants souvent abusés. On trouve, à côté d'intellectuels engagés, des personnalités connues du grand public: Michel Butor, Clara Malraux, Tristan Tzara, François Chatelet, Madeleine Rebérioux, Laurent Schwartz, Danielle Delorme, Simone Signoret, François Truffaut, Jean-François Revel, Claude Roy, etc.

Cette pétition provoque la riposte du «Manifeste des deux cents intellectuels français», où l'on trouve les noms de Jean Dutourd, Rémy, Antoine Blondin, Jacques Laurent, Roland Dorgelès, Pierre de Bénouville, du professeur Richet, et d'autres.

La déclaration du chef de l'État, le 5 septembre 1960, jour de l'ouverture du procès, «L'Algérie algérienne est en marche», ajoute à la confusion.

Les forces de l'ordre n'en continuent pas moins leur travail. Henri Curiel est arrêté le 26 octobre avec son état major immédiat. En novembre, une cinquantaine d'autres porteurs de valises sont arrêtés en Bretagne et en Normandie. Étienne Bolo tombe aux mains de la police en décembre.

Les premiers jours de 1961 sont marqués par les résultats du référendum relatif à l'autodétermination algérienne, qui renforcent la détermination du FLN et de ses auxiliaires français. Ces derniers volent maintenant vers la victoire. En ce printemps 1961, le FLN est pressé de voir aboutir les négociations qui lui sont favorables. Il augmente encore sa pression terroriste, multipliant les assassinats et les sabotages, resserrant un peu plus son emprise sur la population immigrée. La direction de la wilaya III décide une manifestation spectaculaire, le 17 octobre, à Paris. Elle est brisée par la police (1).

Vaille que vaille, la police et la justice poursuivent leur mission. Les arrestations continuent et les jugements des tribunaux aussi, de plus en plus indulgents.

Le 19 mars 1962, les accords d'Évian sont signés. Au cours des négociations, le FLN a obtenu que les porteurs de valises bénéficient de l'indulgence la plus grande. Toutes les actions policières sont interrompues.

Quarante ans après, les anciens «porteurs de valises» et leurs émules sont devenus influents dans les instances du pouvoir et des médias. Alors que certains ont honnêtement reconnu s'être fourvoyés, d'autres constituent un puissant lobby nullement désintéressé au service du pouvoir algérien.

Raymond MUELLE  (*)

 (1)   L'affaire de la répression de la manifestation organisée par le FLN à Paris, le 17 octobre 1961, est un excellent exemple du travail de désinformation poursuivi longtemps après par les «porteurs de valises» et leurs émules. Lancée à l’automne 2000 par le parti communiste, elle avait pour ambition de faire de cette répression un «crime contre l'humanité». Rien de moins! L’accusation reposait sur un ouvrage partial et fantaisiste de Jean Luc Einaudi qui évaluait le nombre des victimes à 200 ou 300. L'enquête impartiale menée par Jean Paul Brunet (Police contre FLN. Le drame d'octobre 1961, Flammarion, 2000) a prouvé que la répression de cette action de guerre du FLN s'est soldée tout au plus par 30 à 50 victimes.

(*) Ecrivain militaire, Raymond MUELLE est l’auteur de plusieurs livres, notamment La Guerre d’Algérie en France (Presses de la Cité, 1994). Tout jeune, il rejoint clandestinement l’Afrique du Nord en 1941. Il participe ensuite aux combats de la Résistance et de la Libération, aux campagnes d’Indochine et d’Algérie.

Il quitte l’armée en 1962 alors qu’il est chef de bataillon au 11e Choc. Il vient de publier Le Commando de l’impossible aux éditions Trésor du patrimoine.

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Nous remercions vivement La Nouvelle Revue d’Histoire qui nous a aimablement autorisés
à reproduire son remarquable article sur les porteurs de valises.

contact@lecri.net


 


 
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